Le bétail parlant
samedi 21 juillet 2007
En effet, même dans ce cas, les arguments de ceux qui s’opposaient à l’abolition de l’esclavage étaient fondés non sur les antiques conceptions d’Aristote à propos de certains hommes esclaves par nature, mais sur des propositions juridiques beaucoup plus récentes : d’abord le droit de la guerre qui, encore chez Pufendorf, permet de fonder un certain type d’esclavage, ensuite le respect dû aux droits de propriété des maîtres sur le capital humain dans lequel ils avaient investi et qu’il faudrait indemniser de toute façon, enfin le droit de chacun de renoncer jusqu’à la fin de ses jours à sa liberté pour assurer sa subsistance.
Question toujours présente : de quel droit peut-on me dénier le droit de renoncer à tout droit ? Comme le disait Grotius lui-même, « cet assujettissement n’a rien en soi de trop dur ; car cette obligation perpétuelle de services est compensée par l’assurance d’avoir toujours des aliments : assurance que n’ont pas ceux qui louent leurs services au jour le jour ».
Pour être complet, il faudrait encore parler d’esclavage pour dette, et de cette idée que l’on trouve dans l’ Utopie de Thomas More selon laquelle l’exécution d’un condamné à mort étant un gaspillage, il vaudrait mieux transmuer la peine capitale en esclavage ; on pourrait même prévoir que des pays achètent à d’autres leurs condamnés à mort pour alimenter leur stock de main-d’oeuvre servile, si l’on ose dire.
Que l’on sache, ces trois grands auteurs ont plutôt la réputation d’être à la pointe de l’humanisme de leur temps ! Même chez Tocqueville, l’esclavage est un « point aveugle ». C’est dire la difficulté qu’il y a eu à en sortir, ce que montre bien ce livre captivant.