La réforme de Grégoire VII : une authentique révolution
mercredi 11 juillet 2007 par Harold Berman
Telle est la thèse qu’Harold Berman développe dans les 700 pages de Droit et Révolution, maniant tour à tour la plume de l’historien, du sociologue ou du juriste. La Librairie de l’Université en a publié une traduction de Raoul Audouin (http://www.aix-provence.com/f/index.php ?sp=liv&livre_id=1495) et nous nous faisons un plaisir d’en présenter un extrait concernant les révolutions que la tradition juridique occidentale a connue durant ce millénaire et notamment celle opérée par Grégoire VII.
Il est approprié d’employer le mot « révolution », tout en sachant les nombreux abus que l’on en a faits [1] pour évoquer ces périodes où s’ouvraient de nouvelles époques, parce que le mot évoque le climat de violence qui est associé aux révolutions des deux derniers siècles, en particulier celles de Russie, de France et d’Amérique. Ici « violence » ne se réfère pas à la contrainte légale imposée par des gouvernements en place avec des moyens policiers ou militaires, mais à la force illégale d’individus et de groupes défiant l’autorité établie.
Du point de vue de l’histoire du Droit en Occident, il est spécialement important de tenir compte du fait que périodiquement ce genre de force illégale a été exercé pour renverser un ordre établi, et que finalement ceux qui parvinrent au pouvoir ne renversèrent cet ordre que pour le remplacer par des systèmes nouveaux et durables de gouvernement et de légalité.
Le régime politique et juridique de chaque nation occidentale remonte à un tel processus. Le terme de révolution est employé non seulement pour désigner les événements violents par lesquels un nouveau système est introduit, mais aussi la période entière requise pour qu’il s’enracine. Comme l’a souligné Eugen Rosenstock-Huessy, il faut plus d’une génération pour réaliser une révolution véritable [2] .
[1] Le président John F. Kennedy, dans son livre Strategy for Peace citait sept « révolutions pacifiques » qui « secouent présentement notre nation et le monde ». C’étaient les révolutions dans la population, dans l’agriculture, dans la technologie et l’énergie, dans le niveau de vie, dans la puissance des armes, dans les pays sous-développés et dans le nationalisme. En 1964, un Comité Ad Hoc sur la triple révolution présenta une déclaration du président Johnson sur la révolution cybernétique, la révolution dans les armements et la révolution sur les droits de l’homme. Un bon nombre d’autres « révolutions » sont énumérées par A.T. van Leeuven, dans Development Through Revolution (New York, 1970), chap.2. Comme dit van Leeuwen (p. 32), le manque de clarté dans l’emploi du terme « est en lui-même caractéristique du phénomène ». Son transfert hors du domaine politique commença lorsque fut forgée l’expression « révolution industrielle », en 1884, par un historien britannique pour illustrer l’analogie avec la révolution française de 1789 à laquelle il fallait trouver un parallèle dans l’histoire de la Grande Bretagne. Voir Arnold Toynbee, Lectures on the Industrial Revolution of the Eighteen Century in England (Londres, 1884). Il se peut que la profusion des applications des termes révolution et révolutionnaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale, étendus même aux produits de consommation les plus communs « révolution dans les sous-vêtements », « révolution dans les déodorants »), soit une réaction linguistique similaire aux multiples révolutions communistes du XXe siècle.
[2] Cela est un thème majeur de son livre Out of Revolution (New York, 1938). 13. Rosenstock-Huessy cite une septième révolution, l’italienne du XIIIe siècle, consistant en la formation du système des cités-états en Italie du nord. Voir Out of Revolution, p. 562. J’ai traité de l’émergence des cités libres, en tant que côté séculier de la révolution papale, non seulement en Italie mais plus largement en Europe. Norman Cantor ne compte que quatre « révolutions mondiales », la révolution papale, la révolution protestante, la révolution française et la révolution russe. Il n’explique pas pourquoi il omet les révolutions anglaise et américaine. Apparemment, ces deux dernières ne cadraient pas avec sa définition d’une révolution mondiale : « Apparition d’une nouvelle idéologie qui rejette les résultats de plusieurs siècles d’un développement organisé dans le système en vigueur, et appelle à un Droit nouveau pour le monde ». Norman F. Cantor, Medieval History, The Life and Death of a Civilization (New York, 1968), p. 300. Son récit de la révolution papale corrobore celui présenté dans la présent ouvrage.